J’ai mis un certain temps à finir ce post, mais je pense que Suzume est mon film préféré ex æquo avec Les Enfants loups. Grâce à Sedeto qui m’a offert sa place j’ai eu la chance d’assister à l’avant-première de Makoto Shinkai au UGC Normandie du 27 février 2023 où il a fait 70 minutes de Q&A.
Dès la séance de questions, Makoto Shinkai a pris les devants et a immédiatement expliqué le lien entre le film et le grand séisme de Fukushima en 2011. Il a aussi précisé qu’il souhaitait pouvoir pleurer la mort des lieux pour apaiser la terre (une sorte de réinterprétation des prières norito dans la religion shinto).
Est-ce que vous croyez aux kami ?
La plupart des Japonais ne sont pas croyants mais prient pour la paix ou les catastrophes naturelles. Ce sont devenus des gestes quotidiens naturels.
Pourquoi un deuxième film catastrophe (après Les Enfants du temps) ?
Au Japon il y a énormément de catastrophes naturelles. J’avais envie de raconter ce Japon au monde contemporain. Ce n’est pas moi qui choisis ce sujet, c’est lui qui vient vers moi. À Paris je vous envie, vous savez, les séismes changent beaucoup la façon de penser ou de voir le monde.
L’histoire du film est triste donc je voulais avoir un personnage mignon à côté. La chaise a 3 pieds parce que la petite a perdu sa mère. Je voulais montrer que même lorsqu’il nous manque un pied on peut encore vivre avec beaucoup d’énergie.
À propos de la chaise (hors interview). Makoto Shinkai voulait faire un road movie sur deux femmes qui voyagent ensemble, parce qu’il en avait un peu marre de faire des romances traditionnelles et que le sujet du séisme de 2011 ne s’y prêtait pas. Son producteur lui a dit : « Tu en as peut-être marre, mais ton public adore ça. » Donc il s’est dit : « OK soit, ce sera une chaise. »
Est-ce que c’était un plaisir de faire ce film ? Ou alors très difficile ? Quel a été votre moment préféré pendant la réalisation du film ?
Très dur. J’y ai passé 15 h par jour pendant 2 ans. 1 jour sur 100 on y prend du plaisir (un jour comme celui-ci, i.e. avant-première) et ça donne l’énergie suffisante pour travailler les 99 autres jours.
Pendant la pandémie c’était impossible de sortir boire avec l’équipe. J’ai adopté deux chats pendant la réalisation pour observer leurs mouvements, dont un que j’ai appelé Suzume.
Combien de temps vous passez pour réaliser une minute ? Vous prenez des stagiaires ?
(rires) Donne-moi ta carte de visite.
Moi, je travaille très lentement. Même si j’y passe toute la journée je vais faire 40 secondes de storyboard, et il faudra encore 1 à 2 semaines pour les transformer en réalisation.
Je vois beaucoup l’eau dans vos films, quel sens vous lui donnez ?
Dessiner l’eau c’est extrêmement difficile. Dès qu’il y a une flaque d’eau y a des reflets, beaucoup de motifs. Plus c’est difficile à travailler plus ça fait plaisir au spectateur. Mais mes animateurs, ça ne leur plaît pas : « Aaah, tu veux encore faire de l’eau !!! » J’adore les regarder très mécontents. Si malgré ça tu veux encore travailler avec moi passe-moi ta carte de visite.
C’est plus dur de faire un film d’émotion ou un film d’action ?
Plus difficile l’émotion peut-être, j’aime les deux. Pour faire de l’action je peux juste faire un découpage rapide avec des zooms et un son fort (e.g. la bataille de Saidaijin avec le ver) pour cacher les défauts. Mais pour l’émotion, le son ne suffit pas.
Lequel de vos films vous a demandé le plus d’efforts ? Vous vous transcendez à chaque fois.
Suzume est très difficile. Comme c’est un road movie, il ya beaucoup de villes qui apparaissent, à chaque fois il faut faire un décor. J’ai l’impression d’avoir fait le travail de deux ou trois films.
Quand la réalisation d’un film se termine je me dis : je ne veux plus jamais vivre ça. Mais chaque fois que je rencontre le public comme aujourd’hui je me dis : pourquoi pas.
Pourquoi ce choix de faire du Cinémascope ? Était-ce difficile ?
« Oh mais tu connais très bien ton sujet dis donc ! »
Oui je trouve ça très large très cool, plutôt que IMAX en hauteur, mais maintenant il y a trop de choix de formats, c’est difficile de choisir.
Vous aimeriez faire des films live action un jour ?
Je ne sais déjà pas faire un film d’animation, alors un film live . . . Mais si on me paie vraiment beaucoup peut-être que j’accepterai.
Le toit ouvrant, est-ce que c’est une histoire vraie ?
(rires) Je me suis donné beaucoup de mal pour vous faire rire.
On a pu apprendre des choses random comme le fait que Makoto Shinkai a grandi dans la campagne à Nagano et qu’il a vécu un an en Angleterre (où des tous petits séismes magnitude un pouvaient faire la une du journal) ; que tous les journalistes français lui ont parlé de Ghibli, et que les relations avec le groupe Radwimps sont actuellement un peu difficiles.
Makoto Shinkai est passé de films d’auteur avec des romances qui finissent mal (Voices from a distant star en 2002, 5 centimètres par seconde en 2007), à un public de plus en plus large, et que son but devient plus de divertir, avec un humour de plus en plus présent.